Anne-Claire Coudray : « Les grands gagnants de la course aux vaccins sont de loin ceux dits à ARN messager (ARNm), technologie choisie par Pheizer et Moderna ; un procédé totalement nouveau même si la recherche sur cette molécule a commencé il y a plus de 60 ans. Et ce sont d’ailleurs des français qui l’avaient découverte à l’époque. Mais faute d’y croire, c’est finalement une scientifique hongroise, expatriée aux Etats-Unis, qui en a fait le succès d’aujourd’hui.
Reportage J.M BAGAYOKO – W.WUILLEMIN – S.ROLAND – J.ALFONSI – T.LESGOIRRES
Dans la course aux vaccins, une méthode s’est avérée la plus rapide et la plus efficace : son nom, l’Acide Ribo Nucléique, l’ARN messager (ARNm). Et çà va très probablement révolutionner la recherche dans le domaine des vaccins.
Cette molécule fait aujourd’hui la fortune de 2 laboratoires américain et allemand. Mais la découverte fondamentale a été faite en France.
Paris, 1961. Trois chercheurs de l’Institut Pasteur formulent une hypothèse. Et si pour fonctionner, nos cellules avaient besoin d’un mode d’emploi pour fabriquer les bonnes protéines ? Pour Jacques MONOD, François JACOB et André LWOFF, ce plan de fabrication c’est l’ARN messager. Ils mettent en évidence cette molécule chargée de transmettre à chaque cellule le bon code génétique.
André LWOFF (Lauréat du prix Nobel de physiologie ou médecine en 1965) : « L’ARNm est une molécule qui est fabriquée par les gênes et qui décide à quel instant quelle page du livre on va lire ».
Cette découverte majeure leur vaudra en 1965 le prix Nobel de médecine. Mais 60 ans plus tard, les premiers vaccins contre le covid-19 sont mis au point par ce couple de chercheurs allemands et grâce à cette biochimiste hongroise (Katalin KARIKÔ) qui reconnaît à la France un rôle de pionnier.
Katalin KARIKÔ : « Vous devez savoir que les scientifiques français ont été très importants. Ils ont été les premiers à évoquer un vaccin à base d’ARN en 1993 ; mais ils n’ont sans doute pas eu les fonds nécessaires pour aller au bout de leur idée».
Katalin KARIKÔ pourrait bien obtenir le prochain prix Nobel de médecine 60 ans après la découverte française de l’ARNm. Mais pour un vaccin français, il faudra encore attendre un peu. Sanofi et Pasteur, les 2 laboratoires français, devraient commercialiser leur vaccin d’ici la fin de l’année, mais aucun n’a opté pour l’ARNm.
Comment expliquer ce rendez-vous raté pour la recherche française?
Maxime Schwartz : « C’est drôle de les revoir. J’ai travaillé avec eux moi ».
Maxime Schwartz a dirigé l’Institut Pasteur dans les années 90 à l’époque où personne n’imaginait que l’ARN messager poserait les jalons des vaccins du futur.
Maxime Schwartz : « L’idée d’en faire un vaccin, personne ne pouvait y penser. Forcément, on a loupé quelque chose puisque d’autres l’ont trouvé. Mais cela dit, on peut finalement être très fier du fait que l’ARN messager ait quand même été découvert à l’Institut Pasteur ».
Pour ceux qui ont cru à l’ARN messager, il a fallu quitter la France. C’est le cas de cet immunologiste suisse (Steve PASCOLO, chercheur immunologue – Hôpital universitaire de Zurich en Suisse – Co-fondateur de Curevac) qui a pourtant fait sa thèse à l’Institut Pasteur dans les années 90.
Steve PASCOLO : « Après ma thèse à Pasteur, je suis parti en Allemagne en 1998. On y a cru suffisamment pour se dire qu’on va l’optimiser. Le vaccin ARN messager à l’époque, il a fallu vraiment beaucoup l’optimiser. Donc, on y a cru alors que le reste du monde n’y croyait pas ».
Le développement de cette technologie nécessitera encore du temps. Mais pour les scientifiques, c’est la promesse d’une révolution médicale à venir.
Anne-Claire Coudray : « Une révolution médicale. Bonsoir, Gérald Kierzek. Alors aujourd’hui, on utilise cet ARN messager contre le coronavirus mais il est aussi très prometteur contre les cancers ».
Gérald Kierzek : « Exactement, çà paraît une nouveauté pour le Convid-19 ces vaccins ARN. En réalité les laboratoires de recherche, depuis plusieurs années, depuis plus de 10 ans même pour le cancer. Et bien c’est une technologie extrêmement prometteuse. Pour le virus, on est sur une stratégie préventive : on développe des anticorps avant l’apparition du virus. Mais pour le cancer, c’est une stratégie curative. Regardez quand on attrape le corona avec une tumeur. Imaginez une tumeur pulmonaire ou un cancer du sein par exemple. La première étape avant de fabriquer ce vaccin, c’est d’aller chercher un bout de cette tumeur , d’aller prendre des cellules tumorales et d’aller identifier à leur surface une protéine qu’on appelle un « antigène tumural d’intérêt » et d’aller extraire son code génétique, son patrimoine génétique, l’ARN messager, de le dupliquer , de le multiplier en laboratoire. Et cet ARN messager, on va aller l’incorporer à partir d’une simple prise de sang dans des cellules du système immunitaire. Et l’ARN plus les cellules du système immunitaire, c’est ce qui va faire le futur vaccin. C’est ce que vous voyez en bas à droite, les cellules vont exprimer les protéines tumorales. Et là, on est quasiment à l’étape du vaccin puisqu’il suffit de mettre çà dans une seringue et d’aller l’injecter en sous-cutané dans la peau ou dans le muscle.
Et après le système immunitaire va faire son travail : c’est-à-dire que cette cellule immunitaire avec autour les protéines tumorales et bien elles vont être reconnues comme étant un intrus dans l’organisme. Et les globules blancs et les lymphocytes que l’on voit en jaune vont se multiplier, vont venir autour de cette cellule et ensuite vont faire leur travail et vont essaimer dans l’organisme pour aller reconnaître directement la tumeur, la tumeur primitive ou les métastases. Et le gros avantage, c’est quelles vont aller se fixer directement sur les protéines autour de la tumeur. Et c’est un énorme avantage parce qu’elles ne vont détruire que les cellules tumorales et vont laisser les cellules saines, contrairement aux chimiothérapies qui tuent à la fois les cellules cancéreuses mais aussi les cellules saines ».
Anne-Claire Coudray : « Est-ce qu’on peut aussi imaginer utiliser l’ARN messager sur d’autres maladies ? ».
Gérald Kierzek : « Bien sûr. J’allais dire quasiment toutes les maladies mais essentiellement les maladies infectieuses : le VIH, les essais sont en cours, Ebola, le virus Zika ou Chikungunya, les maladies cardiaques avec la possibilité de régénérer les cellules cardiaques ou de réparer les vaisseaux sanguins.
Autant dire que la covid-19 aura été un fabuleux accélérateur de la recherche médicale ».
Jean.paul.cocqueel@numericable.fr