Dans le cadre des rendez-vous du Campus Nord-Europe, l’école SKEMA BUSINESS SCHOOL (anciennement l’ESC à Euralille - avenue Willy Brandt) organise des conférences sur le thème du Développement Durable : http://www.conferencescampusnordeurope.fr/
La conférence du 1er décembre 2010 a été animée par Hervé LE TREUT, climatologue, directeur de l’Institut Pierre-Simon Laplace, membre de l’Académie des Sciences et du Conseil Scientifique, directeur de recherche au CNRS, professeur à l’Ecole Polytechnique ainsi qu’à l’Université Pierre et Marie Curie. Ci-dessous le compte-rendu de la conférence.
Hervé Le Treut : l’un des plus grands spécialistes au monde des modèles climatiques
Le croisement des disciplines et connaissances scientifiques permet d’enrichir la réflexion ; et de communiquer sur ce que l’on sait avec certitude, avec moins de certitude, et sur des perspectives plausibles.
Parmi les contributeurs, citons :
- l’Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL) qui est une fédération de laboratoires en sciences de l’environnement de la région parisienne (physiciens de l’atmosphère et des océans, chimistes, biologistes, ...) :
http://www.uvsq.fr/la-recherche/l-institut-pierre-simon-laplace-ipsl--22503.kjsp
- Le Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’Evolution du Climat (GIEC) qui est un outil d’expertise, et d’audit scientifique à l’échelle internationale. A destination des décideurs notamment politiques, le GIEC publie des synthèses consensuelles des études scientifiques mondiales relatives au changement climatique.
A prendre au sérieux : la rupture d’équilibre de la composition chimique de l’atmosphère
Dire que « le changement climatique a toujours existé » est un lieu commun souvent entendu. C’est vrai en partie à l’échelle historique de la planète.
Mais ce qui est remarquable à partir des années 1950, soit au début de l’ère industrielle, c’est l’évolution récente, rapide et brutale de la composition chimique de l’atmosphère avec les Gaz à Effet de Serre (GES) : Dioxyde de carbone CO2, Méthane CH4, Protoxyde d’Azote N2O …) issus de la combustion des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) ; ou des gaz industriels (CFC, Fréons, Halons).
Evolution des émissions de CO2 en milliards de tonnes ou gigatonne de carbone par an (gtc) :
· En 1950 = 1 à 2 gtc / an è gérés naturellement par le système climatique.
· En 1970 = 3 à 4 gtc /an è ce qui correspond au taux de déstabilisation du cycle du Carbone pour 7 milliards d’individus.
· Fin du 20ème siècle = 6,5 gtc /an
· En 2008 = 8,5 gtc /an
· En 2010 = 10 gtc /an è soit environ 3 fois au dessus du seuil atteint en 1970.
A cette élévation du CO2 dans l’atmosphère s’ajoute l’impact de la déforestation.
Le CO2 est mesuré depuis 1957.
Bien que les relevés de températures historiques sont à prendre avec précaution, au Moyen Age la température moyenne était relativement clémente ; par rapport au refroidissement des 17ème et 18ème siècles. Et les premiers signes visibles du réchauffement climatique datent du début des années 1990.
Les recherches sur les risques liés à l’élévation des GES, comme des changements plus importants que les phénomènes naturels du passé, poussent la communauté scientifique à attirer l’attention sur 2 facteurs qui engagent l’avenir de la planète :
· L’inertie thermique des océans (prédisposition à garder longtemps la chaleur des 50 premiers mètres) ; d’où l’inertie de la réponse climatique aux changements de comportements.
· L’effet cumulatif de l’excédent de CO2 (50%) non absorbé naturellement par les océans et la végétation. Or, la durée de vie dans l’atmosphère du CO2 est de 100 à 120 ans, 50 à 400 ans pour les CFC, 150 ans pour N2O ; mais 10 ans pour le Méthane.
En 2004, les émissions de CO2 par pays :
· US = 5,5 tonnes / an / habitant
· Chine = 1 tonne /an /habitant. Mais en 2010, la Chine a rattrapé les US.
· Japon = 2,5 tonnes /an /habitant
· Inde = 0,25 tonne /an /habitant
· Europe = 2 tonnes /an /habitant
è Le taux souhaitable de CO2 à atteindre en Europe serait à diviser par 4
soit 0,5 tonne /an /habitant.
L’effet de serre est complexe. A l’effet de serre naturel (155 watts/m²) s’ajoute l’effet des GES (2,8 watts /m²) appelé effet de serre additionnel. Son impact apparait effectivement minime ; mais c’est important en climatologie, et suffisant pour provoquer une rupture d’équilibre du système climatique ; et jouer un rôle d’accélérateur (5° C nous sépare de la température de l’âge glaciaire).
Les principaux contributeurs à :
· L'effet de serre Naturel = Vapeur d’eau (55%), Nuages (15%), autres gaz dont le CO2 (30%).
· L'effet de serre Additionnel = CO2 (53%), Halocarbones dont les CFC (12%), Ozone (13%), Méthane (17%), N2O (5%).
Sans GES, la température moyenne de la planète serait de l’ordre -18° C par rapport aux +15° C actuels.
Mais le système de refroidissement naturel de la planète est dorénavant rendu insuffisant par la chaleur accumulée au niveau du sol.
Pour en savoir plus : des animations de l’effet de serre :
http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/expo/tempo/planete/portail/labo/effet_serre.html
Des modèles climatiques pour reproduire les climats du passé ; et extrapoler ceux du futur
L’observation des processus physiques de la planète montre qu’il y a une organisation du système climatique mondial. Tout n’est pas dû au hasard : La température monte à l’équateur, et descend vers les pôles – La mer monte suite à l’attraction lunaire ... .
Par des travaux de conceptualisation et des jeux d’équations statistiques, en intégrant de nombreux paramètres physiques (sol, nuages, turbulences, biochimie végétale, …), de nombreuses données (GES), et de nombreux processus (océans, glaciers, rivières, El Nino, …), des modèles climatiques ont été établis pour recréer la planète terre (= planète numérique). Ils tentent ainsi de représenter les climats du passé ; et d’extrapoler par des scénarios climatiques ce qui pourrait arriver au cours du 21ème siècle.
Vérifiés et validés sans cesse, les modèles s’améliorent régulièrement par comparaison entre les planètes numérique et réelle. La puissance de calcul et les images satellites permettent d’affiner, en tenant compte de processus complexes comme les mouvements des nuages, la biochimie végétale, …. Mais les modèles ont toujours des incertitudes : un scientifique peut être compétent et se tromper ; d’où la nécessité d’être prudent.
Si les 20 modèles étudiés donnent des résultats différents, des indices forts convergents démontrent que le changement climatique est avéré :
· Le scénario le plus optimiste, avec une stabilisation des émissions de GES, prévoit un réchauffement de 2° C.
· Le scénario le plus pessimiste prévoit un réchauffement de 5° C.
Le réchauffement s’accompagne également de la dilatation des océans, donc du relèvement du niveau de la mer (3,5 mm /an actuellement avec modification du cycle de l’eau) ; et de la fonte des glaciers.
S’il y a accord sur le risque de modifier le climat de la planète, il y a une grande incertitude sur les contours régionaux par méconnaissance de tous les éléments climato-dépendants. Et donc une grande difficulté à donner des conseils (ex. l’assèchement du pourtour méditerranéen – la puissance du Mistral – la disponibilité de l’eau potable – l’évolution des écosystèmes – l’état des côtes – la santé).
Chacun doit jouer son rôle. Le scientifique, malgré les incertitudes et les limites, doit faire un diagnostic le plus fiable et le plus précis possible.
Chacun a un rôle à jouer dans la diminution des GES - Evitons d'emballer un moteur
Le seuil de +2°C de réchauffement à ne pas dépasser vers 2050 trouve sa justification dans des études de vulnérabilité interdisciplinaire (études des risques / prévention / protection). Il impose une vision différente. C’est une question de justice, d’autant plus que les plus vulnérables au changement climatique n’y sont souvent pour rien (zones intertropicales) !
Le réchauffement actuel est dû aux émissions passées de GES. Aussi, ne pas se préoccuper de l’adaptation indispensable est faire un mauvais geste à l’humanité. Il faut, au contraire, préempter et anticiper les évènements (ex. Planète de 9 milliards d’habitants – la Chine qui devient 1er émetteur de GES - …) en distinguant clairement les domaines scientifique (les recherches & débats) et politique (les problèmes sociaux).
Evitons d'emballer un moteur.
Sans attendre les Politiques et les Sommets des Etats (Kyoto, Cancun) qui ne privilégient souvent que le court-terme, des nouveaux comportements individuels et collectifs s’imposent pour un développement réellement durable : de nouvelles formes d’économie, de déplacement et de travail – de nouvelles façons de consommer – de nouveaux rapports sociaux.
Le changement climatique est une opportunité pour tout inventer ou réinventer; et vivre autrement pour les générations futures.
La vidéo d'une conférence d'Hervé Le Treut : http://www.les-ernest.fr/herv%C3%A9_le_treut